Où je fais du vin ?
Roissard
J’aurais pu partir dans le Beaujolais ou dans le Bugey, mais j’étais tombé amoureux du Trièves et j’avais très envie d’y rester. Fin 2014, par l’intermédiaire de l’association Vignes et Vigneron, j’ai appris que le maire de Roissard souhaitait replanter des vignes sur la commune.
Je suis descendu à pied pour aller voir les sols, les expositions. Il y avait là un réel terroir à cultiver. J’ai eu envie de relever le challenge de montrer qu’il y avait là un grand terroir en puissance.
Découvrir toute l'histoire
J’ai aimé le fait que le terrain soit en côteau, comme les parcelles que j’avais cultivées chez Guigal en Saint Joseph et Hermitage. J’en connaissais les avantages : l’exposition, la ventilation, un drainage plus rapide. Et pour le vigneron, le panorama ! Là, en haut, le Mont Aiguille et le Grand Veymont. À l’ouest, les deux grandes montagnes du Vercors. Au sud, la chaîne du Dévoluy avec l’Obiou et le Grand Ferrand. À l’est, les Écrins. Quand on descend le chemin qui mène aux vignes, on voit le grand canyon de l’Ébron, un cirque assez impressionnant. Et quand on descend encore, on a vue sur les forêts. On est en plein milieu de nulle part et ça m’a plu.
Le maire m’a proposé de m’installer sur 5 hectare. À partir de 2015, j’ai commencé à planter à raison d’un hectare par an.
Pourquoi je fais du vin ?
à l'origine
Quand j’étais étudiant en classe prépa, avec les copains, on achetait des bouteilles et on goûtait des vins. C’est ça qui m’a donné envie d’en faire. Plus tard, c’est aussi le partage avec les cavistes, les restaurateurs, avec d’autres vignerons, et tous les amateurs qui m’a fait tomber et retomber amoureux du vin. Quand on fait les vendanges, il y a toujours de beaux moments de convivialité : des bonnes bouteilles, des bonnes bouffes, de chouettes échanges, le fameux barcecue aux sarments de vignes…
Découvrir toute l'histoire
Ce qui me plaisait c’était l’idée du goût et de l’agriculture aussi. Être sur le terrain, en plein air, au contact de choses concrètes : je suis quelqu’un de manuel au départ.
Avec le vin et la vigne, on peut faire pas mal d’expérimentations. Une vigne, ça se construit dans le temps, mais ça reste hyper mystérieux. Ça exige de se remettre en question en permanence et ça va bien avec qui je suis : curieux, ouvert d’esprit.
Mes expériences
Guigal
Mes diplômes d’ingénieur et d’oenologue en poche, j’ai travaillé pendant 8 ans chez Guigal comme chef de culture pour les appellations Saint Joseph et Hermitage.
suite...
17 ha de parcelles sur un rayon de 20 km. Avec des terroirs tellement variés : c’est un peu comme si j’avais eu à gérer dix domaines différents en termes de climat et de sol. J’ai appris le travail manuel sur des terrains pentus. Sans machine, on était vraiment en proximité avec la vigne. On prenait le temps de la regarder.
J’ai bien aimé cette période de ma vie. Le travail au grand air avec le luxe du panorama.
Le vin et son « esprit »
Ensuite j’ai été tenté de toucher à autre chose qu’à la vigne et j’ai eu l’opportunité de faire du whisky, et de construire de bout en bout, le Domaine des Hautes Glaces, distillerie alpine de whisky bio.
suite...
Passée cette expérience et d’autres en tant que consultant en distillation, j’ai eu envie de continuer à distiller mais dans une autre optique : mettre la nature et ses fragrances en bouteille, créer des eaux de vie uniques reflétant mes goûts.
Ainsi en même temps que les vignes, j’ai planté une bonne quantité de plantes aromatiques sur les espaces vierges des côteaux. Aujourd’hui elles sont utilisées fraîches, en macération et redistillation pour composer les spiritueux du domaine.
J’ai envie de toucher à tout et d’être au contact de mes vignes tous les jours : j’ai donc préféré une structure où je peux tout gérer seul avec l’aide de quelques saisonniers.
Comment je fais du vin ?
Le choix du Bio
Impensable de faire autre chose que de la bio : j’ai affaire à un terroir pur, qui n’a jamais vu la moindre goutte d’un produit de synthèse. J’ai fait des choix techniques qualitatifs, tant en termes de densité de plantation, que de hauteur de palissage, de travail du sol avec semis d’engrais verts.
Des cépages anciens
Pour faire renaître un terroir d’altitude, il fallait être cohérent dans le choix des cépages. Ça aurait été dommage de planter des cépages bourguignons, rhône-alpins ou de la Loire. J’ai donc choisi des cépages adaptés à ce terroir-là, des cépages anciens, alpins et tardifs, qui se conduisent en taille courte, plus qualitative et plus respectueuse de la plante. Avec d’autres cépages, on aurait eu une période végétative trop courte.
suite des cépages...
Là, avec ces cépages tardifs, qui débourrent et maturent un mois après les cépages classiques que l’on trouve dans la vallée, on profite du mois de septembre qui était originellement un très bon mois pour faire mûrir le raisin, grâce à de grosses amplitudes thermiques jour-nuit et des nuits fraîches.
Ainsi, on peut obtenir des vins qui gardent leur fraîcheur, mais aussi une intensité aromatique. Et puis, avec le réchauffement climatique, ces cépages seront de plus en plus adaptés.
Dans ce que j’avais goûté, j’aimais la picolabilité de la Douce noire, la profondeur de la Mondeuse noire. Un peu moins Étraire de l’Adui, que je trouvais un peu rustique, mais que je pense avoir apprivoisé depuis pour dévoiler sa finesse cachée. En blanc, j’aimais la Verdesse, typique de l’Isère, un concentré d’équilibre entre richesse et fraicheur; l’ Altesse, complexe, racée et élégante; la Mondeuse blanche, un cépage très rare. Aujourd’hui, je suis convaincu que tous ces cépages sont sublimés par ce terroir d’alp’titude de Brion.
Comment je vois le vin ?
Un long fleuve tranquille
À la vigne, je ne fais pas de concessions sur mes choix. On ne fait pas de grands vins sans prendre de risques. Au chai, je choisis la simplicité pour aller vers l’authenticité.
La fermentation, c’est un torrent. L’élevage, c’est un long fleuve tranquille. On n’intervient plus. On écoute et observe la magie du naturel opérer. Finalement, faire du vin, c’est juste accompagner le raisin, son jus, le prendre par la main pour éviter qu’il ne sorte de son lit. On ne filtre pas, on ne rajoute rien qui va modifier le goût du vin. Tout ce qui est bon et mûr, s’extrait tout seul, naturellement.
Qu'est ce qu'un bon vin ?
Un bon vin, c’est un vin qu’on a envie de partager. Mais en termes de goût, je ne sais pas ce que c’est. Des bons rouges, il y en a un peu partout en France et ailleurs.
De plus en plus, j’aime les rouges avec une certaine fraîcheur, plutôt sur le fruit, qui se boivent facilement, à toute heure du jour et de la nuit. Des vins avec lesquels on n’a pas forcément besoin de manger.
Avec le réchauffement climatique, beaucoup de vins blancs sont à mon goût trop opulents, trop murs, et n’ont pas cette fraîcheur et cet équilibre qu’on peut avoir dans les bouteilles que j’aime déguster. C’est ce type de vin que j’ai envie de faire à Roissard.
Mes vins ne sont pas des vins de compétition, ni des vins de longue garde, avec de gros élevages. Je ne sais pas si je serai un jour tenté de faire ces vins-là, mais pour le moment, mes vignes sont jeunes et ne s’y prêtent pas.
Un vin paysage
Quand je faisais du whisky, avant de commencer à distiller, j’avais écrit que si on arrivait à mettre un peu de la beauté du lieu dans la bouteille, on aurait notre futur grand whisky. Aujourd’hui je peux transposer cette phrase à mes vins et à mes spiritueux.
Quand j’ai planté mes vignes, je ne savais pas du tout ce qui allait sortir de ce raisin. Même si je pensais que j’avais un beau terroir. Même si je faisais confiance aux choix techniques que j’avais faits. Ensuite c’est mystérieux. Un saut dans l’inconnu.
C’est ça qui me fait vibrer. Aller vers l’inconnu.
C’est assez enivrant.